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Gevrey-Chambertin (le Roi Chambertin 2014)

La Combe Lavaux
La Combe Lavaux, est-ce la Corse, les Alpes ?

Jeudi 13 novembre 2014, Gevrey-Chambertin fête le Roi Chambertin.

De Chamboeuf à Gevrey-Chambertin, 5 km de descente en lacet, une route de montagne, des falaises abruptes, un tunnel sous la roche, des gorges vertigineuses à la végétation flamboyante grâce à un automne qui n’en finit pas de s’attarder. Incroyable Combe Lavaux ! Elle vous laisse abasourdie tout en bas, au milieu des vignes, aux premières maisons de Gevrey-Chambertin. Encore faut-il tenir le coup jusqu’à la phénoménale dégustation du Roi Chambertin, millésime 2013. Elle a lieu tout à l’heure dans le caveau de l’Espace Chambertin avec 45 domaines aux 110 nuances de rouge.

Eglise de Gevrey-Chambertin
Gevrey-Chambertin, église Saint-Aignan (XIIIe et XIVe siècles) au milieu des vignes. Photo © François Collombet

C’est dit, 2013 est un bon millésime !

Jean-Michel Guillon
Jean-Michel Guillon, le président du syndicat des vignerons de Gevrey-Chambertin. Photo © François Collombet

Après un an d’élevage et à l’issue des fermentations malolactiques, cette date de dégustation est judicieusement choisie. C’est maintenant en effet qu’on peut se faire une idée précise d’un vin et d’un millésime. Et, 2013 est un bon millésime, ne manque pas de relever Jean-Michel Guillon, président du syndicat viticole de Gevrey-Chambertin. Il précise d’ailleurs qu’il y avait beaucoup de doutes sur 2013 avec des vendanges tardives : mais nous avons été épargnés par la grêle et finalement si quarante-cinq vignerons présentent aujourd’hui leurs vins c’est qu’ils sont sûrs d’eux. Il faut se rappeler que l’organisme de défense et de gestion (ODG) village, premiers crus et grands crus de Gevrey-Chambertin, prenait il y a deux ans la sage décision de ne plus rien présenter aux dégustations des vins primeurs qui se trouvaient souvent éclipsées par la vente des vins des Hospices de Beaune.

Gevrey-Chambertin, impression d'automne
Gevrey-Chambertin, impression d’automne. Photo © François Collombet

Une incroyable colline aux neuf grands crus

En attendant, quoi de plus roboratif qu’une tartine d’Epoisses et pomme de terre arrosée d’un verre de Gevrey-Chambertin 2008, pris au café-brasserie tenu par Sandrine et Charlotte, mère et la fille (trop tard pour le plat du jour !). Juste ce qu’il faut pour arpenter les vignes en suivant la Route des Grands Crus ! Et pas besoin d’aller bien loin. Ils sont tous là, face au levant formant un incroyable panorama : au nord, la plupart des 26 premiers crus de part et d’autre de la combe Lavaux (dont le célèbre Clos Saint-Jacques). Quant aux 9 grands crus*, fleurons de l’appellation Gevrey-Chambertin, ils se concentrent à la sortie sud du village. Seule la petite route qui mène à Morey-Saint-Denis les sépare.

*9 sur les 33 grands crus que compte la Bourgogne, un record !

Mazis-Chambertin
Mazis-Chambertin (Les Mazis-Bas), premier grand cru à la sortie de Gevrey-Chambertin. Photo © François Collombet

A Bel Air, on allait prendre le bon air

Impressions d’automne avec à l’est, le bruit assourdi de la RN 74 ; une brume à rendre le vignoble presque fantomatique, tout juste si on aperçoit l’ombre courbée d’un vigneron que pointe la fumée d’un brasero de sarment. Tout en haut entre 300 et 350 m d’altitude, telle une frontière entre vigne et combe, un mur presque incongru. Au-dessus, Bel Air sur des terres très maigres, très rocailleuses, au rendement dépassant guère les 20 hl/ha et où il est bien difficile d’y planter un piquet. C’est là qu’on allait “prendre le bon air” quand on montait sur la Côte. Ce premier cru est sacrément bien encadré puisque  flanqué de Ruchottes du Dessus (Ruchottes-Chambertin) et en contrebas, Clos de Bèze à la superficie inchangée depuis l’époque mérovingienne (15,4 ha) et que prolonge vers le sud Chambertin (14 ha), le vin préféré de Napoléon tout aussi mythique, tout aussi grandiose ! Chambertin se situe directement sous le bois qui coiffe le coteau et descend jusqu’à la Route des Grands Crus. On dit qu’il est un peu plus froid que le Clos de Bèze car plus proche de la Combe Grisard dans sa partie sud. Au loin, c’est Latricières et plus loin encore, Morey-Saint-Denis perdu ce jour là dans un horizon cotonneux.

Chambertin et Clos de Bèze
Chambertin et Clos de Bèze, les deux plus grands crus de Gevrey-Chambertin. On aperçoit en haut à droite, Bel Air, un Premier Cru. Photo © François Collombet

Brèves de vigne

Il est là, bien seul à travailler dans ses vignes de Mazis (Mazis Chambertin Grand Cru) en cette fin d’après-midi de novembre. C’est Pierre-Jean Roty, 32 ans, la onzième génération. Il a repris avec son frère Philippe la succession de leur père Joseph. Après le passage de l’enjambeur, notre homme fait la pré-taille au sécateur électrique. Il trouve le temps de nous dire que le 2013 est un bébé, bien trop jeune pour en évaluer le potentiel. Mais pour le millésime 2014, pas une hésitation ! Les raisins qu’il a récoltés sous le soleil de septembre sont beaux, mûrs, sains… un grand millésime, un vin de garde assurément aux tannins déjà soyeux. Il a le sourire. C’est vrai qu’il est jeune marié et que l’avenir à l’aune du 2014 est prometteur.

Pierre-Jean Roty dans sa vigne de Mazis-Chambertin
Pierre-Jean Roty dans sa vigne de Mazis-Chambertin pratiquant la pré-taille. Photo © François Collombet

Les 101 nuances de rouge

Dégustation du millésime 2014
Gevrey-Chambertin, Roi Chambertin 2014, millésime 2013. Photo © François Collombet

Comment dire ? On ne peut être qu’ébloui (qui ne le serait pas !) en voyant cet alignement de bouteilles disposées comme une longue montée vers les sommets : presque tout Gevrey-Chambertin est là dans cet impressionnant caveau : appellations villages, premiers crus (Lavaut Saint-Jacques, Aux Combottes, Les Fontenys, Cazetiers, Clos Saint-Jacques, Perrière, Champonnets, Petite Chapelle, Combes aux Moines, Les Champeaux, Clos Prieur, Corbeaux, Estournelles, Bel Air, Champs Chenys, La romanée, Clos des Varoilles) et tout en haut, vers l’estrade, les plus grands. Ils sont tous Chambertin : Mazoyères, Charmes, Chapelle, Mazis, Ruchottes, Latricières et en fin de table, la tête couronnée : Chambertin et Clos de Bèze. Il est 17 h. Une foule de journalistes, de vignerons, de négociants se pressent le long des tables. On déguste, on crache, on note en français, en anglais, en allemand, en japonais, en chinois, sur des calepins, sur sa tablette, dans sa mémoire avec cette impression d’irréalité : poser ses lèvres sur des vins que le monde entier porte aux nues, des vins en devenir mais qui offrent déjà l’amorce de leur immense potentiel.

Charmes Chambertin 2013
Sous le charme du millésime 2013 (Charmes-Chambertin). Photo © François Collombet
Roi Chambertin 2014
Roi Chambertin 2014, une dégustation fleuve du millésime 2013 : 110 bouteilles de 45 domaines, de l’appellation villages aux 9 grands crus. Photo © François Collombet

Brèves de table

Dîner du Roi Chambertin 2014
Dîner du Roi Chambertin 2014 chez Guy avec Caroline Drouhin-Laroze, David Rossignol-Trapet et Florian Rosier-Remy. Photo © François Collombet

Après la dégustation, rendez-vous chez Guy place de la Mairie pour le dîner autour du millésime 2003 (cette fameuse année de la canicule). Le hasard me place à la gauche de David Rossignol-Trapet, un visage lumineux, énergique, volontaire. Il a la parole chaleureuse et convaincante. C’est en 1990 que Jacques Rossignol et ses deux fils, Nicolas et David (le cadet) fondent le domaine Rossignol-Trapet (ils sont cousins de Jean-Louis Trapet) qui couvre aujourd’hui 14 ha. Très vite les deux frères prennent conscience qu’il faut agir différemment. Cette révolution dans les techniques culturales qu’ils vont initier, c’est au célèbre ingénieur agronome Claude Bourguignon (le bien nommé !) qu’ils le doivent. Les sols en Bourgogne sont biologiquement en train de mourir… affirmait-t-il dès 1993. Nicolas et David prennent cette déclaration au pied de la lettre : plus de désherbant dès 1996, passage progressif à la biodynamie à partir de 1997. En 2005, la certification est demandée. En 2008, le domaine est certifié Demeter.

Dîner du Roi Chambertin 2014
Dîner du Roi Chambertin 2014, au centre et de profil, Jacky Rigaux. Photo © François Collombet

Petite Chapelle

Bien que la famille possède deux parcelles de Chambertin (en tout 1,6 ha) proches l’une de l’autre qui se hissent jusqu’au sommet du grand cru, David nous fera goûter ce dont il est le plus fier : un Premier Cru, Petite Chapelle situé tout contre la Chapelle-Chambertin Grand Cru, juste en dessous. Sa pente est légère et lui assure un bon drainage naturel, son sol est assez profond et riche en argile. Ce millésime 2003 est une merveille, un vin intense, tannique, charnu au bouquet de framboise confite.

Clos de Bèze 2003
Le Clos de Bèze 2003 de ma voisine, Caroline Drouhin-Laroze. Photo © François Collombet

Ma voisine d’à côté, Caroline Drouhin-Laroze, 6e génération à se succéder au domaine (elle attend un bébé pour Noël) me souffle que le domaine Rossignol-Trapet organise le samedi qui suit cette édition 2014 du Roi Chambertin, une vente caritative (bisannuelle) : environ 800 bouteilles proposées à la vente au prix unique de 25 € dont l’intégralité des bénéfices sont reversés à l’hôpital d’enfants de Dijon (service onco-hématologie).

Mère et fils unis pour le meilleur

J’ai à ma gauche un solide gaillard. Il a 24 ans et seconde passionnément sa mère, Chantal Remy du domaine éponyme à Morey-Saint-Denis, sur la Route des Grands Crus. Il me tend sa carte : Florian Rosier-Remy, co-exploitant et bien décidé à poursuivre l’œuvre familiale que sa mère a repris en 1988 (la 7e génération) après la vente d’une partie du domaine (l’ancien domaine Louis Remy) au domaine Leroy. Elle possède avec son fils l’une des plus belles cartes qu’on puisse imaginer : Clos de la Roche, Latricières-Chambertin, Chambertin ; des vignes cultivées dans une démarche bio  respectueuse des rythmes de la nature et travaillées au cheval ; des vendanges manuelles et un rendement qui ne dépasse pas les 35 hl/ha (les vins ne sont pas filtrés).

Latricières-Chambertin 2003
2003, l’année de la canicule; millésime star de ce dîner du Roi Chambertin 2014. Photo © François Collombet

Clos des Rosiers : jardin et tennis… en appellation monopole

Pourquoi ne pas replanter ce coin de jardin (anciennement des vignes) qu’un grand père passionné de botanique avait transformé en une sorte d’arboretum qui faisait la fierté du village ? C’est le défi que Chantal Remy se lança en 2000. Il faut dire que l’emplacement était rêvé puisque situé juste en bas du Clos des Lambrays*. C’est une cuvée jeune (premier millésime 2009) que Florian décrit avec de très beaux arômes (on y décèle la violette), belle expression en bouche, élégance, finesse avec une production de 15 000 bouteilles par an. Au regard du succès de ce Clos des Rosiers Monopole (appellation Morey-Saint-Denis), faudrait-il alors l’agrandir et lui adjoindre le court de tennis peu utilisé ? Ce qui fut fait en 2009.

* Le prestigieux Grand Cru Clos des Lambrays, 8,66 ha à Morey-Saint-Denis a été acquis tout récemment par le groupe LVMH (Bernard Arnault). On parle d’une transaction qui se monterait à 100 millions d’€.

Chantal Remy et Florian Rosier-Remy
Chantal Remy et Florian Rosier-Remy présentant ce Clos des Rosiers Monopole (en attente d’être Premier Cru en appellation Morey-Saint-Denis) fierté de la mère et du fils. Photo © François Collombet

Le drame d’un Chambertin 2003

A la fin du dîner, Chantal et Florian nous proposaient une surprise et quelle surprise : 2 magnums de leur Chambertin, millésime 2003, 2 sur les 15 qui leur restaient. Mais à l’ouverture du précieux flacon, quelle déception, un vin gâté par un détestable goût liégeux. Idem pour le second magnum. Si la mère cherche une explication rationnelle sans doute due au fournisseur portugais du bouchon, le fils comme touché dans son honneur s’emporte au point de quitter la salle. Ainsi va le vin, il joue des tours même aux plus grands.

Dernière brève

On se rappelle tous du scandale (!) que provoqua la vente en 2012 du château de Gevrey-Chambertin, édifice du XIIIe siècle (un ancien prieuré de Cluny) et de son vignoble de 2,3 ha à un chinois, Louis Ng Chi Sing (62 ans aujourd’hui), directeur général de SJM Holdings, le plus gros des six exploitants de casinos de Macao. Il est vrai que la transaction fut hors norme : 8 millions d’€  contre 5 proposés par les viticulteurs de Gevrey. Une telle différence ne fit pas longtemps hésiter les 8 héritiers des familles Mitran et Masson. Le nouveau propriétaire a mis en fermage les vignes confiées au domaine Armand Rousseau. La restauration du château a commencé. Louis Ng Chi Sing aurait l’intention d’en faire un musée du vin.

François

  • 1990 – Les grands vins du monde, préfacé par Gérard Depardieu. 
  • 1992 – Grands et petits vins de France, préfacé par Jean Carmet.
  • 1996 – Le guide des grands et petits vins de France, préfacé par Alain Favereau.
  • 2000 – The Flammarion Guide to World Wines
  • 2013 – Les vignobles mythiques, aux éditions Belin préfacé par Pierre Lurton (Cheval Blanc et Yquem).
  • 2014 – Prix Amunategui-Curnonsky décerné par l’APCIG (association professionnelle des chroniqueurs de la gastronomie et du vin).
  • 2016 – Cépages & Vins aux éditions Dunod.
  • 2020 – Cépages & Vins, nouvelle édition, éditions Dunod.

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